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La bataille de Bouvines

La bataille

Le dimanche 27 juillet 1214, le roi de France Philippe Auguste remporte en Flandre la bataille qu'il livre à l'Empereur Othon qui s'enfuit et au comte de Flandre Ferrand qu'il fait prisonnier. Simple escarmouche comme les campagnes menées les années précédentes ? Non. Il s'agit, au contraire, d'une rencontre si décisive qu'elle a mérité de figurer au nombre des «Trente Journées qui ont fait la France» (1).

Par cette victoire, Philippe Auguste a, en effet, sauvé le royaume de l'invasion et, peut-être du démembrement ; la coalition nouée par ses ennemis est rompue, d'autant que le même jour, le prince héritier Louis en défait à la Roche aux Moines le grand argentier : le roi d'Angleterre Jean sans Terre qui va devoir négocier une trêve. Les conséquences dans le royaume sont considérables : grâce au prestige que lui confère cette victoire, et jouant du sentiment national suscité par le danger anglo-germanique, le roi renforce son pouvoir et maintient l'unité du pays car ceux qui, en Normandie et en Anjou avaient pensé à se dresser contre lui, jugent préférable d'y renoncer. De plus, grâce aux lourdes rançons que vont, pour retrouver leur liberté, lui verser ses nombreux et illustres prisonniers, il renfloue le trésor royal et peut, ainsi, récompenser ses fidèles, les chevaliers qui le servent depuis tant d'années, l'ont protégé sur le champ de bataille et sont les héros de ce combat : «Eudes le duc de Bourgogne, Mathieu de Montmorency, le comte de Beaumont, le vicomte de Melun et les autres nobles combattants...» (2).

Pour comprendre ce que fut l'enjeu de cette bataille, il nous faut remonter au règne de Louis VI, l'aïeul du roi Philippe.

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Le Capétien : un roi au pouvoir théorique considérable, au pouvoir réel limité

Hugues Capet, comte de Paris n'avait été reconnu roi en 987 par les autres grands seigneurs que parce qu'il était le moins puissant d'entre eux, donc le moins dangereux. Un siècle et demi après son couronnement, le domaine des Capétiens est toujours minuscule et leur pouvoir toujours contesté par les hobereaux locaux tels le sire de Montlhéry dans le sud ou, au nord de la Seine, Bouchard IV de Montmorency dont le roi Louis VI dut, pour le contraindre à l'obéissance, faire raser le château (1102).

domaine royal sous louis vii
Le domaine royal sous Louis VII

Si, dans son propre domaine, le roi a tant de difficultés à imposer son autorité, de quels moyens dispose-t-il pour faire admettre sa primauté aux grands seigneurs qui, tels le duc de Bourgogne, les comtes de Flandre, Champagne, Anjou ou à fortiori celui de Toulouse, le plus éloigné, sont tous plus riches et plus puissants que lui ?

Il va s'appuyer sur les quelques éléments de droit romain qui subsistent à l'époque «Empereur en son royaume», le roi ne peut dépendre de quiconque, son pouvoir étant d'une autre essence.

Il va surtout user de l'autorité que lui confère le droit féodal : Suzerain, placé au sommet de la pyramide féodale, il est le Seigneur de tous les chevaliers et, de ce fait, est le garant des droits et des devoirs qui sont les leurs.

De ses vassaux directs, c'est-à-dire des hommes qui, grands seigneurs ou simples chevaliers de son domaine, lui ont prêté hommage et dont les fiefs sont dits «mouvant de la Le domaine royal sous Louis VII couronne», le roi attend tous les services qu'un vassal doit à son suzerain : le conseil, l'ost (service militaire) et l'aide financière prévue notamment pour le paiement de sa rançon.

Tout nouveau vassal lui doit : Foi, Hommage et Aveu. Ce n'est qu'après avoir prêté serment de fidélité, s'être reconnu son «homme» et lui avoir remis le dénombrement des biens constituant le fief, que le vassal s'en voit confirmer la possession par le roi, son seigneur, qui exerce à cette occasion un «droit de relief», c'est-à-dire exige le versement d'une somme d'argent ou parfois la cession d'une terre ou d'un château particulièrement bien situé. Le suzerain possède aussi, le «droit de retrait» sur les terres, châteaux et forteresses de l'ensemble du royaume, le Roi intervient quand l'héritier légitime ne peut remplir les tâches militaires qui lui incombent ; s'il s'agit d'un mineur, le roi exerce le «droit de garde noble» et confie la défense du fief à un vassal plus compétent. Si le fief «tombe en quenouille», c'est-à-dire passe entre les mains d'une femme : fille unique ou veuve, le Roi «protecteur de la veuve et de l'orphelin» veille sur elle mais lui impose le plus souvent un mari de son choix. Justicier suprême, le roi peut enfin confier à sa Cour, le jugement des litiges survenant entre ses vassaux.

Les Capétiens ont aussi bénéficié de deux atouts :

Il existe pourtant une ombre au tableau : l'insuffisance des ressources financières, limitées au revenu du domaine. En cas de besoin exceptionnel, le roi ne peut compter que sur la levée de taxes temporaires, au rendement limité, car les résistances sont fortes. Or, sans rentrées régulières, il ne peut avoir une armée soldée et dépend entièrement pour ses campagnes annuelles du service d'ost que lui doivent ses vassaux.

En fait, entre le Roi et les grands vassaux, tout est rapport de forces.

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Les capétiens vont commencer par agrandir leur domaine et y imposer leur pouvoir

Le domaine royal est constitué des terres dont Hugues Capet était, avant son accession au trône, le seigneur et qu'il a transmises à ses descendants. Ils y rendent la justice, y perçoivent des droits et exigent les services usuels. Ils sont représentés par des prévôts qui, en leur nom, jugent, lèvent le cens, gèrent leurs exploitations agricoles et font appliquer le droit de gîte. Il n'y a pas de capitale fixe et les revenus (essentiellement des produits agricoles : grains, vin, viande...) doivent être consommés sur place ; c'est pourquoi tout au long de l'année, le capétien et sa cour se déplacent d'exploitation en exploitation : de Gonesse à Soissons, de Paris à Etampes etc... faisant escale dans les villes qui doivent les héberger et les nourrir : c'est le «droit de gîte».

Les rois profitent généralement de ces haltes pour faire siéger leur cour et lui soumettre les affaires trop importantes pour être confiées à de simple prévôts. Ainsi, peu à peu, les rois se font-ils connaître de leurs sujets et imposent-ils leur loi. .

Source de revenus, le domaine est aussi pour eux, le lieu où ils recrutent leurs chevaliers : ils vont donc tout faire pour l'agrandir et augmenter leur force économique et militaire.

Constitué du Parisis, du pays de France et du Vexin au nord, ce minuscule territoire s'étend, à l'époque de Louis VI, jusqu'à Etampes au Sud. Louis VII et son fils Philippe vont, avec obstination, tenter de l'agrandir. Tous les moyens sont bons pour en repousser les limites : la progression, impossible à l'ouest vers la Normandie ou à l'est vers la Champagne, se fera vers le sud ( Philippe II annexera l'Auvergne) et surtout vers le nord, en direction de la Flandre. Par achat, mariage, héritage, droit de relief ou conquête, Amiens, Péronne, le Vermandois et le Valois viendront grossir le domaine royal qui, à la mort de Philippe Auguste, en 1223, aura quadruplé.

Pour le défendre, des châteaux tels Beaumont et Pontoise sur l'Oise, Montmorency dans sa vallée etc... ont été construits. Ils constituent une ligne de forteresses qui, grâce aux garnisons formées des chevaliers levés sur le domaine, tiennent les voies de passage. C'est à leurs vassaux directs que les rois ont confié la garde de ces points stratégiques. Ils s'appuyent en effet sur quelques familles à la fidélité éprouvée qui, à leur service depuis plusieurs générations, se connaissent, sont liées entre elles et constituent le vivier où ils puisent les membres de leur conseil, les clercs qui tiennent leurs archives, les prévôts royaux et même quelques évêques qu'ils nomment et envoyent là où le pouvoir royal est encore mal établi.

Les possessions de Henri II d'Angleterre et de Philippe Auguste en 1189.

Ils y trouvent aussi l'ost que, chaque année au printemps, quand va reprendre la guerre d'escarmouche, leur amènent les «seigneurs bannerets» dont chacun, selon ses possibilités, doit fournir de 5 à 20 cavaliers armés et exercés. Il s'agit des membres de leurs familles ou de leurs propres vassaux, qui viennent à «la gèrre fraîche et joyeuse» (!) regroupés derrière la bannière de leurs seigneurs car tous ces chevaliers étant, sous le heaume et le haubert, impossibles à identifier, l'étendard seigneurial est le seul moyen, pour les membres d'un même groupe, de rester ensemble et d'éviter de se combattre.

Les sires de Montmorency sont un bon exemple de ces vassaux directs remuants mais fidèles. Leurs démêlés avec les puissants abbés de Saint-Denys sont fréquents car ils ne peuvent étendre leur territoire qu'en empiétant sur les possessions dionysiennes et Louis VI, nous l'avons vu, a dû intervenir pour régler l'un de ces nombreux litiges et faire appliquer ses décisions. Bouchard IV s'est finalement incliné car ce vassal turbulent est un fidèle serviteur des Capétiens. Mathieu I, son fils, fait connétable par Louis VI, est un des barons du royaume (on appelle ainsi les familiers du roi). Noble mais non titré, (c'est le roi qui est Comte du Vexin et du Pays de France et aücun des seigneurs du domaine royal n'a de titre) il n'en est pas moins puissant : ses alliances flatteuses le prouvent. Marié en premières noces à Aline, fille naturelle d'Henri I‘ d'Angleterre, qui lui a donné 5 fils, il épouse ensuite Alix de Savoie, veuve de Louis VI (et mère de Louis VII) dont il a une fille. Ces liens familiaux et la confiance que lui témoigne le jeune roi, lui valent d'être désigné pour assurer, avec Suger, la régence pendant l'absence de Louis VII parti à la Croisade avec la reine Aliénor.

Bouchard V, son successeur, épouse, lui, l'une des filles du comte de Hainaut, Laurence. Cette union procure à son héritier Mathieu II de brillantes relations puisqu'il est, par sa mère, le cousin d'Ysabeau de Hainaut, la femme de Philippe Auguste et de Baudoin de Hainaut qui deviendra en 1204, Empereur de Constantinople.

Puissant baron, le sire de Montmorency est aussi, comme tous les seigneurs d'Île-de-France, un vassal dont la fidélité et le dévouement sont acquis à celui qui fut, dans son enfance, appelé Philippe de Gonesse.

C'est sur le champ de bataille plus qu'à la cour où il n'a pas de grandes responsabilités, que Mathieu II sert son souverain : il vient, à chaque campagne avec une vingtaine de chevaliers.

Quand a-t-il commencé à participer à l'ost royal ? certainement très jeune car nous le trouvons mentionné par un chroniqueur anglais, Roger de Hoveden qui, exaltant la très importante victoire remportée en 1198, à Courcelles lès Gisors, par Richard Cœur de Lion sur l'ost du roi de France, cite parmi les nombreux prisonniers 4 bannerets du Vexin et Pays de France dont Robert de Saint Denis et Mathieu de Montmorency.

C'est le roi Richard lui-même qui l'aurait fait prisonnier, si l'on en croit le Plantagenêt qui fait part aux siens de ses succès en ces termes «Nous avons serré de si près l'ennemi qu'aux portes de Gisors le pont de l'Epte s'est rompu sous le poids des Français en déroute. Le roi de France a bu dans la rivière et 20 de ses chevaliers s'y sont noyés. Notre lance a renversé Mathieu de Montmorency, Alain de Rouci et Foulque de Guillerval que nous avons pris avec près de cent autres chevaliers...» Il n'y eut en fait que 90 chevaliers pris mais c'était déjà un butin considérable.

Mathieu fut libéré assez vite car nous le retrouvons dès 1200 dans l'entourage du roi, partageant son temps entre .

Et à Bouvines, nous le retrouverons dans l'ost royal, chevalier banneret avec 20 chevaliers levés sur ses terres : parmi eux, Etienne de Tour (Saint-Prix).

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Assuré de la fidélité des seigneurs d'Île-de-France,
comment le roi va-t-il obliger les autres vassaux à obéir ?

Il peut s'appuyer sur l'Église car un contrat lie les deux pouvoirs : le roi assure bonne justice et défend les clercs ; en contre-partie, les prêlats prêchent l'obéissance au souverain. De plus, grâce au «droit de régale», le roi nomme les titulaires de quelques évêchés et abbayes ; pour ces postes-clés, il choisit des hommes sur lesquels il sait pouvoir compter : desmembres de sa famille ou de son entourage, ainsi l'évêque de Beauvais est-il un cousin de celui de Senlis un de ses anciens clercs.

À cette aide traditionnelle s'ajoute désormais une force nouvelle celle des Communes. Les villes qui ont reçu du roi une charte leur accordant certains droits (les franchises) se sont engagées à lui fournir des hommes armés : archers ou fantassins ; on voit donc apparaître sur les champs de bataille les «communiers» fournis par les cités marchandes ou épiscopales du domaine telles Beauvais, Arras ou Soissons. Mais cette «piétaille» n'est qu'une force d'appoint. La seule force décisive restant la cavalerie, les rois ont toujours besoin des chevaliers, leurs vassaux.

Comment s'assurent-ils de leur présence à l'ost ou du moins de leur neutralité ? La réponse est connue depuis longtemps : il leur faut doubler les liens vassaliques par des liens familiaux.

Le roi compte d'abord sur les membres de sa famille : il leur confie les principautés les plus importantes : ainsi, la Bourgogne, les comtés de Dreux et d'Auxerre sont entre les mains de cousin, frère et neveu de Philippe Auguste. Le roi peut aussi, en mariant ses filles ou ses nièces faire entrer les grands vassaux dans sa parentèle : c'est ce que fait Louis VII dont les filles sont devenues comtesses de Troyes et de Blois. Il a encore la possibilité de faire épouser à ses fils des héritières dont la dot viendra grossir le domaine et lui assurera des alliances utiles.

Mais parfois, c'est le souverain lui-même qui conclut une union avantageuse : Ysabeau de Hainaut apporte à Philippe Auguste non seulement l'Artois qui constitue sa dot, mais aussi l'assurance que le Comte, son père, lui sera fidèle. Louis VII avait, de même, assuré sa sécurité à l'est, en épousant en troisième noces Adèle de Champagne.

Encore faut-il ne pas laisser échapper la riche héritière car, fille ou veuve, quand la dot est intéressante, les soupirants sont nombreux.

Lorsque le duché d'Aquitaine «tombe en quenouille», le roi Louis VI intervient en tant que souverain dans le choix du futur mari et duc: c'est à son fils aîné qu'il réserve ce «morceau de roi». Aliénor apportant en dot la Guyenne, l'Armagnac, l'Auvergne et le Poitou : avec ces possessions qui forment un territoire d'un seul tenant et trois fois plus grand que le domaine royal, les Capétiens vont enfin être maîtres du royaume .

On pouvait l'espérer ! mais au retour de la croisade, Louis VII répudie sa femme et lui rend sa dot avec sa liberté. Aliénor est un parti trop avantageux pour rester longtemps libre. Son nouveau mari, politique avisé et puissant seigneur n'est autre qu'Henri Plantagenêt qui, de son père Geffroy a hérité de l'Anjou, du Maine et de la Touraine tandis que Mathilde, sa mère, lui léguait le duché de Normandie et le royaume d'Angleterre.

Grâce à cette union, le roi d'Angleterre contrôle la moitié du royaume et les Capétiens se heurtent à un vassal plus riche qu'eux et peu enclin à reconnaître leur suzeraineté. Reprendre les terres perdues, obliger les Plantagenêts à obéir et à remplir tous leurs devoirs, tel est le but poursuivi pendant un demi-siècle par les rois de France. Dès 1154, sur l'Epte, l'Avre, la Seine, en Poitou et en Auvergne, ils luttent contre les souverains anglais qui défendent avec âpreté leurs fiefs.

Depuis son avènement, en 1180, Philippe Auguste n'a, comme son père, cessé de guerroyer contre ces dangereux vassaux. Contre Henri II d'abord, contre ses fils : Richard Cœur de Lion et depuis 1199 Jean sans Terre, ensuite, il use de tous les moyens à sa disposition : condamné pour félonie par le Conseil des barons, le Plantagenêt voit ses fiefs confisqués et peu à peu conquis. Après la Normandie, il perd le Poitou, seule lui reste la Guyenne.

Dans cette lutte inexpiable, un renfort inattendu mais considérable a été apporté au Capétien par le Pape. Jean sans Terre a tant pressuré l'Église anglaise que le Pape Innocent III l'a condamné à restituer les biens volés, puis, après son refus d'obtempérer, l'a excommunié, a jeté l'interdit sur son royaume (aucun culte ne peut y être célébré), a délié ses sujets de leur devoir d'obéissance envers leur roi, et, finalement, l'Angleterre n'ayant plus de souverain reconnu, a demandé à Philippe Auguste d'aller la conquérir. Le roi de France a, bien sûr accepté cette mission et, en 1213, rassemblé ses troupes. Mais alors, le Plantagenêt qui a mesuré le danger, s'empresse de se soumettre et va même jusqu'à se reconnaître vassal du Souverain Pontife qui décommande l'expédition projetée par Philippe.

Ayant retourné la situation à son avantage, Jean sans Terre décide de reconquérir ses fiefs français : regroupant autour de lui, contre argent comptant, les ennemis du Capétien, il obtient l'aide de vassaux mécontents comme les comtes de Flandre et de Boulogne et surtout celle de son neveu l'Empereur Othon qui craint les ambitions du Capétien qui, par les femmes descend de Charlemagne et dont la diplomatie n'est pas étrangère aux difficultés qu'il rencontre dans l'Empire où son pouvoir est contesté.

Chaque camp s'organise, recrute des mercenaires et convoque ses chevaliers. C'est en Flandre, aux frontières de l'Empire et du royaume qu'aura lieu la rencontre décisive entre Othon et Philippe Auguste.

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L'Affrontement : Bouvines 27 juillet 1214

Grâce à l'or du roi d'Angleterre qui a dit-on versé 40 000 marcs d'argent, les coalisés ont réuni une armée nombreuse. L'essentiel en est constitué par les troupes recrutées par l'Empereur soit : un millier de chevaliers et des fantassins, de redoutables mercenaires attirés par l'espoir du pillage et prêts à tout pour capturer les ennemis et les rançonner. Sont également présents les contingents fournis par les comtes de Flandre et de Boulogne, notamment les dangereux brabançons armés de couteaux et d'épieux ? Quelques anglais enfin entourent Guillaume Longue-Epée, le demi-frère du roi. C'est, au total 1 500 chevaliers et 7 000 fantassins environ qui vont affronter l'ost du roi de France.

Que veulent ces envahisseurs ?

Pour Jean sans Terre qui a réussi, grâce à sa diplomatie et à ses subsides, à nouer cette coalition, l'objetif est clair : récupérer ses fiefs. Il a, pour battre plus aisément l'armée du Capétien, prévu de l'obliger à lutter sur deux fronts : en Anjou où il paye de sa personne et en Flandre où font diversion son neveu et deux puissants vassaux du roi Philippe.

Quels motifs ont pu inciter ces deux comtes à la trahison ?

Le premier Ferrand est le fils du roi du Portugal ; mais un cadet sans fortune qui a épousé héritière du comte de Flandre. Pour entrer en possession de ce terroir riche dont la position stratégique est évidente, il a dû céder comme «droit de relief» Aire et Saint Omer. Ferrand n'a pas admis cette amputation de son fief. Plusieurs fois déjà, Philippe Auguste a rappelé son irascible vassal à l'obéissance : mais en vain ; si bien que l'année précédente, l'armée royale a, à titre d'avertissement, ravagé la Flandre.

Quant au second, Renaud de Dammartin (en Goelle), il appartient à l'une des familles du domaine royal au service des Capétiens depuis des générations. Il a été le camarade de jeux de Philippe qui l'a lui-même armé chevalier puis l'a, par un brillant mariage, fait entrer dans sa parentèle. Alors pourquoi cette félonie, que le roi a particulièrement ressentie ? Ambitieux et versatile, Renaud a répudié sa femme pour enlever puis épouser la veuve du comte de Boulogne et devenir le maître de ce comté qu'il défend depuis lors contre les éventuels empiètements du pouvoir royal et qu'il entend garder par tous les moyens, y compris une alliance avec le roi d'Angleterre.

De quelles forces le roi de France dispose-t-il ?

L'armée de Philippe Auguste est moins nombreuse que l'armée adverse car il a effectivement dû scinder ses forces. Tandis qu'il envoyait les plus jeunes chevaliers combattre en Anjou sous le commandement de son fils le Prince Louis, il n'a gardé autour de lui que les hommes de son âge, ceux qui, depuis trente ans se côtoient dans les tournois et à l'ost, se connaissent bien et forment un groupe soudé. Moins nombreux et quinquagénaires pour la plupart, mais expérimentés et prudents, ces chevaliers constituent en quelque sorte la garde personnelle du souverain. Des liens familiaux ou vassaliques, anciens et solides les unissent et garantissent leur fidélité.

Certains sont venus de Champagne, Bourgogne et Barrois sous la conduite des grands vassaux ; les plus nombreux ont été recrutés directement par le roi dans son domaine ; ceux-là combattent sous les ordres des bannerets du vieux pays de France (Vexin, Laonnois) ou des terres récemment annexées comme le Valois ou Artois.

À ces 1 300 cavaliers, s'ajoutent environ, 5 000 fantassins dont beaucoup sont des «communiers» fournis par les 17 villes du domaine à qui le roi a octroyé une charte.

La bataille de Bouvines (d'après Duby).

Philippe Auguste s'est avancé jusqu'à Tournai, mais apprenant que les coalisés se sont regroupés au château de Mortagne, juste à la frontière, il décide de ramener ses troupes vers l'ouest, de leur faire passer la Marcq et d'aller s'établir à Lille. Le pont de Bouvines a déjà été franchi par une partie de l'armée quand Othon et les siens, voulant profiter de ce que l'ost français est dispersé donc affaibli, décident, bien que ce soit un dimanche, jour où l'Église impose de respecter la «trève de Dieu», d'attaquer.

Quatre chroniqueurs ont décrit les principaux épisodes de cette bataille de Bouvines : seuls les intéressent les exploits des grands barons, ils oublient totalement la piétaille et ne mentionnent guère plus les simples chevaliers. Le combat s'est mal engagé pour les français : il a d'abord fallu faire revenir les troupes qui avaient franchi le ruisseau, puis se mettre en position de combat ; les coalisés en ont profité pour attaquer. Les mercenaires germaniques sont parvenus jusqu'au roi qu'ils ont, à l'aide de crochets, agrippé et jeté à bas de son destrier. Désarçonné, Philippe Auguste n'a dû la vie, ou en tout cas la liberté, qu'au rempart formé par ses fidèles qui l'ont protégé puis remis en selle et se sont alors lancés à la poursuite de l'Empereur avec, malgré leur âge, une telle fougue, que celui-ci a eu 3 chevaux tués sous lui. «après le comte de Saint Pol, mut le comte de Beaumont par aussi grande hardiesse ; Mathieu de Montmorency et les siens, le duc Eudes de Bourgogne qui avait maint bon chevalier en sa route tous se jetèrent en la presse, avides et chauds de combattre et rendirent à leurs ennemis merveilleuse bataille» (2).

Cette contre-attaque a décidé de l'issue de la rencontre. Othon s'est enfui et «...à la fin versa tout le faix de la bataille sur Ferrand et sur les siens ; abattu à terre, blessé et navré de maintes grandes plaies, pris fut et lié avec maints de ses chevaliers.» » (2).

Trois cents chevaliers ennemis prisonniers dont cinq comtes parmi lesquels Renaud et Ferrand, voilà qui réjouit le roi et ses fidèles. Chacun dispose, en effet, des armes, des chevaux et des hommes qu'il a personnellement pris : armures et destriers valant des sommes énormes, leur vente et les rançons qui s'y ajouteront représentent un gain considérable.

Domaines comparés des Capétiens et des Plantagenêts, à la mort de Philippe Auguste en 1223.

Mais pour le roi, cette victoire signifie surtout la tranquillité : elle lui assure le ralliement des seigneurs normands et poitevins qui ont préféré attendre de savoir qui, de lui ou de Jean Sans Terre, serait victorieux ; elle garantit sa frontière au nord car la Flandre est désormais soumise ; elle met fin aux espoirs du Plantagenêt qui devra surtout se préoccuper de l'Angleterre et oublier ses possessions continentales. (Déconsidéré et affaibli, le roi Jean devra dès l'année suivante accorder à ses barons la Grande Charte qui limite son pouvoir puisqu'il s'engage à ne lever aucun impôt sans l'accord de ses barons). Quant à Othon, il a dû, lui aussi, supporter les conséquences de sa défaite : le Pape Innocent III a sacré Empereur Frédéric II de Sicile, il n'est plus désormais qu'un prince sans grand pouvoir : la menace germanique a disparu.

L'importance de Bouvines a été comprise par tous dans le pays, la liesse populaire en témoigne ; Philippe a sauvé son royaume, a affermi son pouvoir, il peut récompenser ceux qui l'ont aidé dans cette tâche et notamment le sire de Montmorency qui s'est particulièrement illustré : «Mathius de Montmorenci tenais un faussart en sa main et seoit sor un grant cheval ; qui lors le veist com il corroit par mi cel estor et com il s'en aloit bruiant et com il portoit chevaliers à terre et metoit lot gent à mal, por nient ramenteust nul meillor chevalier»(3).

Sur la grande verrière de la collégiale, réalisée en 1908, le maître verrier a représenté la bataille de Bouvines : nous y voyons au premier plan Mathieu offrant au roi les douze bannières qu'il a prises à l'ennemi.

Est-ce pour commémorer cet exploit qu'en 1218, nommé connétable c'est-à-dire chef des armées royales, Mathieu de Montmorency modifie ses armoiries, ajoutant douze alérions aux quatre déjà existants. Ce sont ces armoiries, conservées telle quelles par ses descen» dants, qui constituent encore actuellement le blason de notre cité.

Jacqueline Rabasse

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sceau avant
Sceau de Mathieu de Montmorency avant Bouvines.
sceau apres
Sceau de Mathieu de Montmorency en 1229.
(Archives de l'abbaye de St-Victor)
bouvines
La bataille de Bouvines
Vitrail de la façade principale de l'église de Montmorency.

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